Sur les pointes, livre augmenté, partie 1…
Le professeur Gilles Pialoux : entretien avec Marie Vanaret
Chef de service des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Tenon, le Professeur Gilles Pialoux a lu mon récit Sur Les Pointes.
J’ai, pour ma part, lu son roman Comme un léger tremblement. S’en est suivi un rendez-vous qui a dépassé le cadre d’un simple entretien pour devenir une rencontre très simple. De l’expérience médicale à la mise en scène romanesque, le pas était commun, l’urgence évidente et le lien s’est établi très naturellement.
Marie Vanaret
ÉPIDÉMIES : PEUT-ON PARLER D’ÉRADICATION ?
G.P. : «Il faut être très prudent avec la notion d’éradication. Les brassages de population sont, de nos jours, de plus en plus importants. Il y a les guerres, les voyages, les explorations dans des contrées peu visitées jusqu’alors, l’urbanisation ou, au contraire, la végétalisation des villes… Cela peut favoriser une réactivation des cas, une poche ou une résurgence d’une maladie qu’on croyait éradiquée.
La variole a été éradiquée dans les années 80, mais on assiste au retour de la variole du singe qui est sa cousine.
S’agissant de la polio, selon l’OMS, le nombre de cas de polio a diminué de 99,99 % depuis 1988 grâce à la vaccination. Cette baisse a réduit le nombre de cas estimé à 350 000 par an dans plus de 125 pays, à 6 cas reporté en 2021 dans les deux pays où la polio reste endémique (le Pakistan et l’Afghanistan). Sur les trois souches de poliovirus sauvage (type 1, 2 et 3), le poliovirus sauvage de type 2 a été éradiqué en 1999, et le poliovirus sauvage de type 3 a été éradiqué en 2020. Un autre phénomène très rare a été décrit en Indonésie, au Kenya, en Angleterre : les poliovirus circulants, dérivés de la souche vaccinale utilisée dans le vaccin oral contre la polio sous une forme atténuée (PVDVc). Ces cas se retrouvent parfois dans des communautés qui ne sont pas suffisamment vaccinées contre la poliomyélite, notamment dans les zones où l’hygiène, l’assainissement ne sont pas bons, ou s’il règne des conditions de surpopulation. Par exemple dans des camps de réfugiés comme c’est le cas actuellement à Gaza.»
POST-ÉPIDÉMIQUE ET INVISIBILITÉ : DES PRÉCISIONS S’IMPOSENT
«Le terme post-épidémique est à utiliser avec des guillemets. C’est l’oubli qui est post-épidémique, post pic-épidémique pour être plus juste. L’opinion publique, les médias s’alertent tardivement ou cessent trop vite d’être préoccupés selon les cas. C’est transversal à chaque épidémie. On ne s’est pas soucié d’Ebola quand l’épidémie sévissait en république du Congo. C’est sous le coup de la peur de l’arrivée du virus en Europe qu’on a réagi et divulgué l’information. Il y a beaucoup d’endroits où on ne parle plus du sida alors que c’est une réalité quotidienne. Sur le covid on n’a aucune visibilité d’avenir. C’est l’invisibilité qui sévit après la crise.
Si l’éradication de la maladie n’est jamais vraiment certaine, ce qui est bien réel, à coup sûr cette fois, c’est qu’on n’éradique pas les gens qui ont des séquelles. On les invisibilise. Même chose pour toutes les personnes qui ont des formes chroniques. Celles qui ont une forme de covid long par exemple. Donc « éradication », et « post-épidémique » sont des termes ambigus, à manier avec beaucoup de précaution.»
ÉPIDÉMIES : LA DÉSIGNATION D’UN ENNEMI
«L’histoire de la désignation d’ennemis, ou de coupables, inhérente à chaque épidémie, raconte surtout comment on se trompe. Par exemple aux États-Unis, à partir du début des années 80 et pendant plusieurs années, on a appelé le sida la « maladie des 4H » -Homosexuels – Héroïnomanes – Hémophiles – Haïtiens. On a vu après que ç’était une erreur, que tout le monde pouvait être concerné et que le premier mode de contamination par le VIH dans le monde, c’est la transmission hétérosexuelle.
Pour la polio liée au vaccin oral (PVDVc) on en retrouve la trace dans les eaux usées, et de là on extrapole aux populations les plus précaires, notamment migrantes, qui deviennent des suspects.»
ÉPIDÉMIES : LOTERIE, CULPABILITÉ ET SÉLECTION SOCIALE
«Une épidémie c’est une loterie. Il y a celles et ceux qui sont atteints et les autres. Dans le cas de la polio on peut même parler de « loterie dans la loterie » car, sur cent personnes qui vont attraper la maladie, une seule aura des séquelles. D’où la honte, la culpabilité. Dans les années 50 la culpabilité des parents dont les enfants étaient atteints par la polio a été terrible. Il y a des gens qui ont dissimulé les diagnostics, caché les enfants.
S’il y a un effet de hasard il y a aussi un effet sociétal, une sélection sociale, des cofacteurs de vulnérabilité. Des enfants, des femmes, des populations sont mieux protégés que d’autres. Et certain(e)s cumulent les facteurs de vulnérabilité.
Pendant l’épidémie de covid, par exemple, si vous étiez à six dans un petit appartement, il était plus difficile de ventiler, de mettre des masques, de s’isoler. Les classes sociales les plus défavorisées ont été plus vulnérables au covid, tous autres facteurs de risques confondus.»
LA MALADRESSE DES MÉDECINS
«La maladresse des médecins se retrouve dans toutes les épidémies. L’annonce brutale du diagnostic, l’incompétence des médecins qui veulent avoir tout de suite un pronostic sur un avenir qu’ils ne maîtrisent pas est un point commun aux maladies transmissibles, de la polio, au sida en passant par Ebola .»
UN DEVOIR DE MÉMOIRE
«Aujourd’hui pour les étudiants en médecine, la polio c’est un P, une simple lettre dans le vaccin DTP (diphtérie, tétanos, polio), rien d’autre.
En 2012, nous avons écrit à deux mains – Didier Lestrade co-fondateur d’Act-Up Paris – et moi, Sida 2.0. Un rude constat qui est parti de cette réalité : plus personne ne parle du sida.
Or il y a un devoir de mémoire. Il y a toujours quelque enseignement à tirer de l’histoire d’une épidémie.
Ce qui a préexisté dans le cas du sida c’est le contexte de lutte, l’activisme des homosexuels par exemple, qui a joué un rôle majeur. Ils avaient en commun leur homosexualité préexistante et la stigmatisation qui en résultait.>
Dans le cas du covid, les activistes du sida ont essayé d’instiller leur savoir-faire collectif et communautaire à d’autres : les personnes greffées, les immunodéprimés plus généralement, en plaçant les familles, les malades au centre du débat mais ça n’a finalement pas eu lieu. Pas plus que le débat citoyen, pourtant promis par le Président Macron, alors que c’était typiquement une pandémie qui le justifiait. Nous étions toutes, tous, dans le monde entier, confinés ; le pass vaccinal était obligatoire etc.
Par rapport à quarante ans de luttes contre le sida, c’est un non progrès, c’est même un recul. Les leçons n’ont clairement pas été tirées.
Il y avait eu, déjà, un courant négationniste à propos du sida. Certains affirmaient que ce n’était pas ce virus qui causait cette maladie, et que ça ne servait à rien de faire des recherches vaccinales, ni de prendre les traitements. On n’a, là encore, pas tiré les leçons et lors de l’épidémie covid on a retrouvé ce courant très organisé, sur les réseaux sociaux notamment, avec des People qui reprenaient le discours anti-vaccinal.
En revanche, on a tout de même vu toute une économie se mettre au service d’une épidémie. Pour le covid, ça a fonctionné mais est-ce que ce sera le cas à l’avenir, dans le contexte d’une autre épidémie ? Le modèle du « quoi qu’il en coûte » est-il reproductible ? Je suis circonspect.»
Gilles Pialoux est l’auteur de Un don presque parfait (Mialet-Barrault, 2024)
Comme un léger tremblement (Mialet-Barrault, 2022)
Nous n’étions pas prêts (Sur le covid, JC Lattès, 2020)
Sida 2.0 avec Didier Lestrade(Fleuve, 2012).
Philippe est un journaliste «non écrivant», comme il dit, secrétaire de rédaction au Monde, lorsque «en pleine force de l’âge, la maladie de Charcot le crucifie, neutralise un à un ses muscles» et finit par «le soumettre à la paralysie totale». Mais Philippe est aussi un homme qui déborde de désirs, de passion, et c’est la concrétisation de certains rêves qu’un véritable gang formé autour de lui (sa femme, ses amis-es) va s’employer à vivre à ses côtés, «comme un moment suspendu dans la glissade». Jusqu’à un saut en parapente depuis un centre Handivol de Normandie. Le texte de ce récit-roman au style alerte déborde d’amour et d’énergie, un véritable hymne à la vie, sans jamais gommer les aspects sombres et déshumanisants, notamment dans la relation du patient et des proches avec certains médecins. Jusqu’au terrible sujet de la fin de vie.
Sur les pointes, livre augmenté, partie 2…
BOMAYÉ !, le court métrage de Marie Vanaret
Le corps en mouvement. De la danse à la boxe.
On prend des coups, on donne des coups
Le court métrage de Marie Vanaret, BOMAYÉ !